Anabelle Hulaut et Anna Demir
Anabelle Hulaut et Anna Hidden Alias Anaïd Demir
Partie d'échecs - du tac au tac ... [du 12 février au 3 mai 2011 ...]
AHu to AHi :
J'aimerai bien partir de cette idée qu'on joue aux échecs, on répond l'une à l'autre, on peut jouer réellement sur des tables, on peut sortir du jeu, ré-entrer mais on doit toujours éffectuer un mouvement de façon à inviter l'autre à y répondre ... après tout peut être possible ... environ 10 lignes max, pour garder un rythme tac au tac d'écriture ... et de time in entre nos divers et diverses préoccupations du moment ... un rythme de tac au tac tous les 2-3 jours ?
Voici d'entrée de jeu, la situation. Je l'ai choisi assez sobre, assez sombre aussi pour le moment pour que les choses puissent évoluer sous la lumière ... :
AHu :
Une salle plutôt spacieuse plongée dans la demi pénombre, un léger filet de lumière douce comme filtrée pénètre dans la pièce au niveau du regard.
Dans une partie de l'espace, des petites tables blanches sont disposées en amande comme pour former l'image d'un oeil. Sur chacune des tables, un échiquier noir et blanc sur lequel sont installées des pièces mystérieuses. Des lettres comme perchées sur leurs cases, des lettres consonnantes prêtes à être prononcé ou encore consommé suivant leurs avantages sur le jeu. Le sol est noir mais il peut changer. Une silhouette blanche se tient debout comme au coeur du dispositif, prête à se mouvoir.
AHi :
Je m y mets. Je m installe même si je ne suis pas sûre de tout avoir compris... Qu'est-ce que je fais là?
Assise dans le noir.
Je sais jouer aux dames mais je n'aime pas les échecs... Je veux dire les vrais échecs. Les échecs cuisants, ceux qui nous rappellent à la vie.
Je parle des jeux de dames... Je ne supporte pas qu'on m appelle "madame". Ni mademoiselle. Je préfère qu'on ne m appelle pas. Car il n'y a que les pions qu'on appelle.
Je n'aime ni les dames ni les échecs. Les jeux seulement. Et surtout les échiquiers. Noir sur blanc. Les pions alignés. Deux armées. Une stratégie ou 2 ou + si affinités.
We are all pawns my dear.
Dans cette pièce, dans la pénombre, je vois se dessiner un œil dans le décor. Celui de Big Brother? Je m empare du premier pion sur le premier échiquier á ma portée. C'est un fou. Pion noir. Position? Dérangée. Je le propulse à travers l'œil de Big Brother.
Ahu :
ssssssssscccchhhhhpppppppllllllliiiiiiiiiinnnthggg iiing iing i iiiiiiiiiii i
Un son cinglant a retentit, comme un bruit de verre. Du cristal probablement.
J'ai ressenti milles petits éclats miroiter tout autour de ce point devenu, sans doute à en croire l'impact, inquiétant et stratégique.
De cet oeil obscur, qui ne m'était pas apparu comme tel, parce que je n'y avais vu qu'un clin d'oeil dans son battement de paupières, il ne restait plus qu'une béance.
Un trou. Un trou qui avait emporté une partie de la pénombre dans sa déchirure.
Le sol a commencé aussi à se mouvoir, plus mou voire moins fiable et comme aspiré par le crash qui venait de se produire. Cela a été si vite, que je n'ai pas vu arriver la pièce.
Un pion noir, dis-tu ? Mais à entendre l'impact, je dirais plutôt qu'il s'agissait d'un fou masqué en pion ou encore d'un pion masqué fou.
Peu importe, pour le moment, il n'est plus là.
D'ailleurs, je tournais le dos jusqu'à lors. J'étais dans mes pensées. Je m'imaginais une partie comme simultanée avec des mouvements presque chorégraphique, au ralenti.
J'avais aperçu la silhouette blanche, mais je ne t'avais pas vu arriver. D'ailleurs peut-être étais-tu déjà dans la pièce quand je suis moi-même entrée. Toujours est-il que la déflagration a été suffisamment forte pour me ramener ici.
D'un geste sec, j'ai ouvert le lourd rideau noir qui se trouvait derrière moi.
AHi :
Il s'appelait Shess... Mais certains entendaient "Chess" et faisaient le lien avec l'échiquier: un terrain dont il était la maître avant d'atterrir dans ce supermarché de luxe.
Une sorte de Monoprix Genevois dont il etait le boss.
Et la première chose qu'il avait fait en arrivant, c'était de refaire tout le sol en damier.
Etrangement, son concept-store vendait de tout sauf de quoi jouer au jeu de stratégie auquel il excellait et qui lui avait valu plusieurs titres de champion du monde.
Jusqu'à ce qu'il ne soit plus le génie du moment et qu'un autre génie, plus jeune, plus frais, plus télégénique ne vienne le remplacer.
Peu importe l'amertume.
Et ce matin-là, comme tous les jours, et à toute heure, non-stop, la bande-son de Furyo passait en boucle sur son échiquier commercial géant pendant qu'il semblait placer ses employés à des points stratégiques comme des pions et semblait faire d'eux ce qu'un champion d'échecs était digne de faire -c'est-à-dire engager des parties et les gagner à tous les coups.
Pourquoi Furyo? Tôt simplement parce qu'il était fan de Bowie et que comme l'acteur qui donnait la réplique à son héros dans ce film des eighties, Shess était Japonais.
En tout cas, alors qu'il venait de placer le vendeur spécialisé en cartographie en E4, un grand fracas le surprit. Une déflagration. Une explosion qui semblait venir des sous-sols du magasin.
Ah :
Dans le vibrations, une amatrice amoureuse des cartes s'avance en E5.
Big easy, une ouverture à l'empreinte. Un chaos paradoxalement organisé tout autour, seul l'échiquier semble imperturbable.
Les tapis roulants sur les coursives se sont mis à défiler d'avant en arrière puis inversement.
Du haut, j'ai l'impression d'assister à un cours de baby scratch. D'ailleurs en un quart de seconde, une demi douzaine de personnes en damiers s'affairent sur els coursives. Cela sent la chorégraphie travaillée, un mix de ska et TCK. C'est à deux doigts, façon de parler et pour être plus précis environ 8 pieds. D'un côté à gauche les bras droits se tendent vers l'avant, puis pivotent sur eux-mêmes. Puis, à nouveau tendus cette fois-çi derrière la tête, les bras gauches se tendent vers la droite.
Au sol, les pieds patinent pour garder la position stable dans le mouvement.
Vue du haut, j'ai la vague Bowie en tête, j'hésite entre Let's Dance et Ashes to Ashes.
Je sens l'explosion du bas toujours en haleine.
Du bas, vers le haut. Ma tête tourne pour balayer du regard l'ensemble de l'étage où j me trouve toujours plongé dans la semi-pénombre.
Du haut vers le bas. A droite, tout au fond de l'échiquier,presque hors champ, s'élève un gigantesque échafaudage en bambous. D'un pas édcidé et du haut de mes talons de verre qui jusque là n'avait pas encore tinté, je m'élance pour atteindre le sommet de l'échafaudage...
SHAKE, SHAKE, SHAKE, SHAke, SHake, shake, shake, shake, shake, shake, shake, shake, shake, shake ...
Ahi :
« ………Shake my hand » m’intime Shess, alors que je suis étendue au sol, en vrac et de tout mon long!
« Quelle drôle d’idée que de s’élancer sur un échafaudage avec autant d’aplomb quand on est si délicatement chaussée… » me dit-il avec chaleur.
Et je lui tends ma main, comme demandé. Comme si de rien était. Une chaleur s’empare de moi alors que l’on fait mine de se saluer et qu’il me soulève comme une plume. J’ai le sentiment que dans mon dos, deux ailes viennent de pousser.
Je lui réponds que j’ai effectivement choisi de jouer le rôle de la plume dans son film. Je m’attends d’ailleurs à ce qu’il m’amène le scénario d’une seconde à l’autre alors que j’ai été déviée de ma trajectoire par une vilaine folle… Enfin, peut-être même est-ce celui tout simplement celui que l’on appelle le « fou ». A moins que ce ne soit la reine de la partie adverse… qu’en sais-je ?
Shess me rappelle que les règles sont les règles… et que telle que j’ai été replacée en E4 par ses soins, je ne serai jamais légère comme une plume.
N’est pas stratège qui veut.
« Nous sommes tous des pions, ici, my dearest » me rappelle-t-il avec flegme et autorité. Son air enigmatique me semble parfaitement travaillé.
Tous des pions et pas de plumes… OK! Mais rien ne m’empèche d’avancer masqué.
Ahu :
Je m'apprête à avancer à nouveau, quelques pas de biais c'est plus sûr que l'envolée. Mes talons sont en miettes au pied de l'échafaudage et mes genoux rouges sont à vifs. C'est pas la première fois que je m'étale. Quelqu'un d'autre a du se relever de l'autre côté. Cette fois-çi, impossible de me mouvoir. Je suis comme paralysée en plein enjambement. Une case vide X un noir plein. Dans le blanc, une voix me chuchote à l'oreille A regarder d'un oeil, de près, pendant presque un heure. Je ne saisis pas tout. Où ! D'ailleurs, je commence à ne plus trop savoir où je me trouve. Shake shake shake my head shake shake shake 'till feel better...
Les coursives vidées se sont elles aussi arrêtées. Des roulements se font entendre sur le sol du dessus. De droite à gauche puis de gauche à droite comme si on réarmait une machine à écrire et que des mots s'en échappaient. Un mouvement de va et vient qui commence à me bercer. Je commence à croire qu'on veut m'immobiliser totalement.
Mes yeux bougent encore, à droite, une avancée du derrière. Comme un buisson, on a positionné un miroir en pied de biais. Un blanc. Du jukebox monte la VO de A Wicked Game. Un miroir qui prend l'allure d'un rétroviseur. Tuning version Decuplata. Au fond, s'infiltre au dessus de la perspective, une nappe verte ondoyante. Changement de version. La voix devient plus aigüe, exagère, crie... Avec la brise qui s'amplifie I'am victim of this song prend le dessus. I love it. Les cris montent. Bruits de verre. Comme au charme rompu, mon enjambement s'abaisse, Cavalier. Claque au sol en F3...
+
puis plus rien, pendant un bon laps de temps … je ne sais pas si je me suis évanouie ou si la nappe verte a pris le dessus tel un gaz soporifique … en tout cas, ce dont je me souviens c'est qu'il était question d'un jeu et que j'étais moi-même une des pièces du jeu. De quelle pièce s'agit-il je n'en n'ai aucune idée. Tout ce que je sais c'est que mes genoux sont en vrac, mes jambes me font mal, j'ai probablement du me faire un claquage, Mes mains sont pleines de plumes. Je me relève comme si de rien n'était. J'ai la sensation d'un changement de décor. Ce sol à damier est comme à perte de vue, sans limite à ciel ouvert. De grandes éoliennes blanches battent l'air. On respire mieux. Je suis assoiffée. Quelqu'un de familier s'approche vers moi vêtue d'un Frac. D'emblée, je lui propose de boire un verre. Coupe de champagne ? Verre de vodka martini ? Tasse de Lapsang Souchong ?
II
Ahi :
No tea. No time pour le champagne. Rupture de stock. Plus de liquide.
"La maison n'accepte pas l'échec" est écrit en toute lettres dans la partie cuisine de ce grand home que Shess s'évertue à faire passer pour un espace commercial depuis des lustres.
Postées ça et là, aux entrées de chacune des issues, des hôtesses en tenue légère et prêtes à faire décoller les éventuels visiteurs, avec ou sans visa.
Le carrelage noir sur blanc est une oeuvre spécialement spaciale, réalisée in situ par M.C Escher. Sensations de vertige et perte de sens sont compris dans le contrat de commande.
Un peu plus loin, dans la partie "dressing" où l'on se rend en suivant le marquage étoilé du plafond pour éviter les vortex, les "Flying Turns" qui font tourner les têtes des kids se produisent. Au-dessus de ces toupies humaines dans la tendance électro-punk, on lit une affiche. Est-ce un Barbara Kruger, un Lawrence Weiner, Alighiero Boetti? Il est stipulé en lettres colorées "Je ne suis pas je suis". Une nouvelle philosophie dans laquelle je me glisse avec délice. Poussée dans le dos par une hôtesse, je suis parachutée sur un carré de verdure. Vêtu d'un vieux frac noir, Shess est omniprésent dans ce paysage.
10:15, saturday night. Il donne la météo temporelle.
Ahu :
La nappe s'est abaissée, affaissée – de loin, ça ressemble à un carré de verdure et de près, de très près, j'ai touché le sol d'abord du talon désormais nu et là mes sens ont explosé. J'ai eu la sensation de m'enfoncer d'au moins d'1/2 de ma hauteur, une chute tendu, puis au bout tenu comme par coussin d'air. L'image du fil à plomb arrosé. Cela n'envisage rien de bon. Un coup pour rien ? J'adoube, déchaussée. Totalement, lost in translation... Une forte odeur de caramel, douce, sucrée, s'est propagée. Des pommes d'amour sont apparues au dessus de ma tête suspendues par un fil. Tous ces fils qui s'entrecroisent, ma tête tourne. J'ai totalement perdu de vue, les cases du sol. La nappe est épaisse, et faire l'autruche ne me ressemble guère.
J'ai cru remarquer des empreintes sur le pourtour des dalles, peut-être qu'en tâtant de la pointe des pieds je pourrai atteindre l'avancée que je m'étais fixée. Autant dire que j'avance les yeux bandés et les narines pleine de sucre ce qui ne facilite pas l'affaire. Brouillage sur la piste. Je suis prête à éternuer. Au même instant où péniblement je me redresse, un énorme vrombissement jaillit du dessus derrière ma tête. Et en simultanée me dépasse ECO, une silhouette monobloc au profil bien dessiné criant le roc : traverse 1 – stop - l'air au jet manie le thé à l'aile droite – stop – Vroooooommmmmmmbb...
Trait au noirs.
Ahi :
Une fois de plus, mes traits se brouillent dans le miroir du plafond.
Je me suis jetée sur le lit. Et de l’autre côté, au-delà du cadre damassé, il me semble voir Chess encore et encore. A côté de lui, un autre moi. Une sorte de fantôme. Quelqu’un qui semble répondre de mes gestes. La même chose mais pas tout-à-fait au même moment. Comme s’il y avait un décalage. Comme si l’autre moi imitait tout mon être et jusqu’au moindre de mes battements de cœur… mais toujours avec un décalage.
Je suis HS, étendue sur le lit. Je ferme les yeux un instant. Je me laisse guider par une vois cristalline qui m’oblige a répéter ses phrases sans queue ni tête.
1…. Mauvaises herbes, Pocahontas, je me sens de glace...
2. …Mais ce sorbet ainsi servi avait un goût de miel et de thym...
3. je suis adepte du Manitoba, je ne répond plus de rien dit Mister Bond. Prénom james.
4. James is also the name of the chihuahua of Bunny.
5. Bunny est la fille qui était dans le lagon bleu avec les vénus et les appollons.
Des phrases sans queue ni tête.
Tout cela ferait un cadavre exquis me suis-je dit en réouvrant les yeux.
Dans le miroir, il n’y avait plus mon autre moi… brusquement, quelque chose se dessinait. Impossible de lui donner un nom. Juste le décrire……
Ah :
Exactement ça, en plein cadavres exquis, d'ailleurs il y a cette image qui me trotte dans la tête – la main tendue, comme laissée sur le béton – sur le pas de la porte !
Cette fois-ci pas d'enjambement possible... Exquis, exquises joker en tête ...
Diversion - dans le fond de mon sac, simplement, ma tête cherche encore les clés.
Dans le même temps, distraction - Je m'en fous pas mal.
J'attends. D'ailleurs, je me suis assise sur le banc qui se trouvait sur le bas-côté de la chaussée. L'herbe vient d'être coupée. Une délicieuse odeur fraiche s'en dégage - Diversion - J'attends un mouvement. Un mouvement qui pourrait se révéler très lentement. Quelque chose qui se déroulerait d'un côté tout en s'enroulant à nouveau de l'autre – un mouvement presque parfait à peine perceptible... une face A puis B par alternance puis ne faisant qu'une... AB sur D éroule ... tel le ruban de Möbius... Go...
Sur le bas côté de la chaussée, une silhouette vient de s'asseoir sur le blanc … L'herbe délicieuse vient d'être coupée – Je...
Le damassé miroite me parle : Granville road, number 220 … il se déroule devant moi au fil des visites ... rembobine ... je vous fais un plan … Oriental Hotel en alternance lui aussi avec le fameux mouchoir de Cholet. Go...
Un fil casse. A nouveau, je me relève, mes genoux alors ornés du damassé rouge/blanc/rouge/blanc/... Puis substitution d'un fil, en un mouvement passe passera noir / blanc / noir/ blanc…
Interruption ...