Notes à propos de la Série Les Tas :
C'est quelque chose que je poursuis régulièrement dans un rapport presque quotidien, il y a quelque chose de l'ordre de l'énumération, de l'inventaire, ce sont toujours des tas trouvés, les photographies ont presque toujours le même cadrage - un plan large de face, comme un paysage ; quelquefois, l'architecture s'y mêle, et d'autres fois c'est la nature mais dans tous les cas, le tas est central.
Le tas, m'intéresse parce qu'il est l'entre deux, la matière première d'une chose en devenir, d'une chose qui reste à faire, d'une chose encore indéfini, il y a quelque chose de suspendu ...
Ce qui m'intéresse aussi, c'est qu'il est à la fois une chose et son contraire, l'idée d'un chaos mis en forme, organisé, il est ce que l'on ne se préoccupe pas, comme le hasard éparpillé devient mise en forme.
"...Les Tas photographiés sont réduits pareillement à une planéité qui ne leur est pas propre. Le médium photographique aplani ces formes informes faites de terre, de feuilles, d'éléments naturels, en mutation. La photographie les fige, stoppe leur gestation et les sort de leur contexte réel, les rend également illusoire du fait de leur échelle réduite par le tirage photographique. Ici se trame une ambiguïté entre sculpture et surface plane, entre volume, fabrication et artifice." (1)
C'est bien évidemment la question de la sculpture qui m'intéresse à travers le médium photographique. Comment la sculpture resurgit, ré-émerge de cette mise à plat.
Les dernieres photographies réalisées pour cette série ont été faites à la Réunion, l'aspect minéral des tas photographiés se mêle au paysage alentours, comme le tas de lave envahit totalement le paysage, il imprègne le paysage.
Dans la série "les tas", il y a comme deux sous-séries, d'une part, il y a ces photographies de "tas" à proprement dit, qui ont certains aspects documentaires plus subjectif et moins radical que les typologies des Becher. Et il y a ces photographies (sorte d'auto-portrait) où je suis en inter-action avec cette masse informe "le tas", permettant de révéler petit à petit la métamorphose des différents personnages.
" ...Quoi de mieux qu'une masse informe comme métaphore de la métamorphose ! La série photographique Les Tas traduit l'informe du passage, celui d'un personnage à un autre, en cours, en devenir. Le " tas ", mot ingrat, lourd, un P plutôt qu'un L, mais pour l'heure une gestation dans laquelle malaxent des formes qui vont se structurer. Après tout le tas est lui-même construit, la plupart du temps du fait de l'homme qu'il s'agisse de détritus, de terre, de feuilles, de papier, de livres. L'informe et la forme dialoguent dans une alternance, maître mot induit par le va-et-vient entre le noir et le blanc du damier.
L'artiste prend le temps d'y renaître, dans un jeu de cache-cache, de présence-absence (Sans titre (les feuilles)), dans un geste de survie ou révolutionnaire (Sans tire (le mouchoir)), pour enfin apparaître au sommet d'un amas de terre brandissant cette fois-ci un cerf-volant, comme une envolée. Le personnage à damier éclot plein de légèreté face à ce tas. Ce dernier prend des allures d'une montagne à gravir à l'image de la montagne Sainte-Victoire, sujet récurrent de Cézanne, devenu monument de la peinture auquel l'Artiste cherche depuis à se confronter(4). ..."(2)
Depuis quelques temps, je me suis aperçue qu'il y avait une série de tas qui apparaissait dans le paysage urbain. Des tas simples pour là plupart fait de terre et placès à des endroits spécifiques, où plutôt statégiques et visant essentiellement à interdire l'accès, le passage.
L'utilisation qui en résulte montre bien que le tas est par essence un passage ouvert en soi, un espace libre mentale et c'est aussi pour cette raison, que certains vont l'utiliser comme système de persuasion à la censure (le tas a commencé à remplacer les lourds rochers plaçés en périphérie des villes pour empêcher l'accès aux Gens du voyage).
(1)-(Extrait texte d'Anne Cartel dans Histoire de voir - un train peut en cacher un autre, édition Musées de Cholet)-.
(2)-idem. et note (4) : Je pense à la vidéo Pièce Supplémentaire n°17, 2004 de Dominique Angel, dans laquelle l'artiste en proie à une interrogation permanente sur sa condition d'artiste tente l'ascension de la dite montagne à l'aide d'un tabouret. Une note burlesque quant à la position de l'artiste face à l'histoire de l'art et à laquelle participe aisément l'artiste Hulaut.