Anabelle Hulaut
Lucile Bouvard
Fragil Magazine (pdf page 8-9) - Fragil N°5, avril 2007 - www.fragil.org
A la croisée des chemins s'ouvre le je(u)
Installée depuis plusieurs années dans la région Nantaise l’artiste Anabelle Hulaut élabore un travail navigant à vue entre fiction et réalité. Une pratique, où se mêlent, au gré des itinérances et des rencontres, jeux de mots et échanges de lettres.
15h30.
J’attends Anabelle Hulaut. Point de rendez-vous un giratoire. Perchée sur le monticule, j’observe les routes qui viennent à moi. D’où va-t-elle surgir ? Je reste alerte car selon les atours qu’elle arborera, il me faudra percer la parade de l’artiste caméléon. En effet, son travail est un véritable jeu de rôles, un chassé-croisé de personnages aux caractères et aux attitudes différenciées et nuancées par de subtils écarts.
Anabelle Hulaut, Hubaut de son vrai nom, a un jour troqué son " B " contre un " L" emprunté au nom d’une autre personne. Métamorphose, jeu de masque, ou " fictionnalisation ", on ne sait trop, mais l’artiste prend goût à ce jeu de double et met au point un protocole lui permettant de prolonger l’aventure. Au gré des rencontres, elle pactise avec des complices scellant l’accord par une poignée de main et un certificat attestant la réalité de l’échange. Le complice une fois " béisé " se doit d’utiliser son nom de prêt, activant ainsi sa nouvelle identité. Ces partages lettrés prospèrent tant et si bien qu’Anabelle est incidemment reconnue sous le nom d’artiste d’Hulaut. Elle choisit alors d’assurer la pérennité de sa nouvelle identité par un mariage de lettres célébré en grande pompe sur la plage de St Marc, sous le regard protecteur de son homonyme : le tatiesque M.Hulot.
Mon récit ne l’a pas encore signalé, mais durant ses trocs de lettres Anabelle Hulaut inventa de nouveaux doubles à son "je". Ainsi vit le jour une Melle Hulaut, autant si ce n’est plus énigmatique que le personnage de Tati. Une figure pantomime, qui emporte avec elle, au hasard des haltes et des déplacements, une cabane de plage aux façades mondrianesques (1) , montée sur roulettes pour son transport.
A la même époque, commence à apparaître, à distance adéquate de filature, la silhouette d’un détective. Né d’un bout de pipe - au moment de la disparition de celle de la statue M. Hulot - est-ce une piste ? - ce personnage fantôme suit les déplacements de ses sosies et observe, telle une vigie à la posture hiératique. éternel regardeur, inquiétant et protecteur, le détective n’est peut-être pas tant détective que cela, ou alors autant que sa pipe n’en n’est peut-être pas une (2) . Encore une touche de mystère...
Récemment, lors d’une résidence à la villa Arson, Anabelle Hulaut a ajouté une nouvelle flèche à son arc, une casquette de plus à sa garde-robe d’artiste camouflée : le détective Anabelle Hulaut... Certes encore un détective, mais cette fois plus qu’une posture, car ce personnage, façonné à l’image de l’artiste chercheur, tente de dénicher de quoi fournir les pièces à convictions de son oeuvre. Il rassemble, annote, archive, va d’empreinte en pouce, de pouce en dé à coudre, pour de ce même dé à coudre revenir à des empreintes. à l’instar de Melle Hulaut, cette figure métaphorique est nourrie de fictions. Elle tire sa matière des huit clos d’Agatha Christie et des aventures de Sherlock Holmes, mais leur échappe cependant pour endosser pleinement son rôle. Reconnaissable et localisé grâce à une simple boîte aux lettres - objet sédentaire devenu finalement aussi mobile que la cabane de Melle Hulaut - le détective Hulaut cherche des pistes, occasionne des rencontres, multiplie les témoignages et les échanges en transformant une empreinte de pouce en témoignage d’échange.
Un jeu de mots, fléché à l’aide de panneaux signalétiques, qui parfois entraîne le spectateur dans un parcours où abondent les croisements et les interprétations à choix multiples. Un travail dont la substance se condense dans le film " Les vacances de Melle Hulaut ", ovni vidéo-filmique, qui combine un chassé-croisé d’informations et des personnages semblant démentir en permanence ce qu’à la seconde précédente, vous avez cru comprendre d’eux. Des doubles qui se distancient et nous échappent, à mesure qu’on cherche à les connaître.
Du haut du point rond je guette toujours l’orée des chemins. Alter ego ou " je " duel, réel ou fictif, personne n’est venu. Pourtant, j’ai comme le sentiment d’une présence qui tourne autour de ma butte, à la façon de la vidéo de l’ensemble " Double jeu " : la caméra braquant, de manière centrifuge, un pouce césarien(3) trônant sur son giratoire. Peut-être que tout ces "non personnages" m’observent, jouant encore, mais cette fois un peu de moi qui cherche à les saisir...
(1) Qui reprend la facture des toiles de Piet Mondrian
(2) En référence à la toile de René Magritte "Ceci n’est pas une pipe"
(3) Sculpture en forme de pouce de César
Lucile Bouvard, 2007