Anabelle Hulaut
Bertrand Godot
Revue 303 - Numéro spécial: Collections et collectionneurs - Février 2009
Nom d’une pipe !
Le tout est de savoir si tout est pipé !
De pipes en pipes une affaire de goût
Le plaisir pour le fumeur, c'est de tenir sa pipe, comme prolongement du corps avec la gestuelle qui l'accompagne. Objet de réflexion et de méditation, le fumeur avec sa pipe et son tabac, parfume un espace, et marque ainsi son territoire « fumesque »[1] .
Il y en a des courbes ou droites, des courtes ou longues, des naturelles ou colorées, lisses ou parfois sculptées, en terre, en bruyère ou en écume de mer.
Le tout étant de ne pas casser sa pipe[2] .
Des pipes célèbres traversent notre histoire, nos vies et font partie de notre mémoire collective:
Celle du Capitaine Haddock, Georges Simenon, l’inspecteur Maigret, le détective Sherlock Holmes, Popeye, Georges Brassens, Jacques Tati, l’inspecteur Clouseau dans la Panthère Rose, Albert Einstein[3] , José Bové, Fantasio, Léo Malet, Mortimer, Jean Giono, Cary Grant, Jean-Paul Sartre, la marquise de Pompadour, Rouletabille, André Breton, Marcel Duchamp, Man Ray, Michel Simon, Georges Sand, Stéphane Mallarmé…
Des peintres ont également immortalisé leurs pipes, certains sous forme d’autoportraits Van Gogh, Manet, Monet, Courbet, Man Ray, Picasso et aussi les peintures emblématiques et énigmatiques de René Magritte[4] .
La première pipe
Difficile d’avoir une réponse. On retrouve son existence sur plusieurs continents. On a découvert des fragments de pipes faites en os qui datent de plusieurs milliers d’années. Les ancêtres du fumeur de pipe actuel sont sûrement les indiens. jusqu’à la fin du XV ème siècle, ils seraient les seuls à pratiquer et connaître le plaisir de fumer une plante du nom de « Petun » ou « tabaco », même si le monde antique semble avoir connu ce plaisir.
C’est au XVI ème siècle qu’apparaît la pipe en Europe, du latin « pipa », tube, roseau. La première fabrique de pipes en argile est fondée en 1575 à Broscley Shropshire, en Angleterre. Elles pénètrent par la suite en Hollande à Gouda.
C’est après la guerre de trente ans que naîtront les premières fabriques françaises de pipe en terre, principalement au Nord de la France.
Dunkerque jouera un rôle important de part son statut et sa situation. En effet, la ville recevait des arrivages de tabac et utilisait pour la fabrication des pipes de l’argile venu du proche Brabant en Belgique. Par la suite, d’autres manufactures vont s’établir en France. Pendant deux siècles, la pipe populaire est une pipe en terre. Du fait de sa fragilité il s‘en vendra dans la seconde moitié du XIX siècle jusqu’à 100 millions par année.
L’apparition du cigare et de la cigarette faillit compromettre le développement de la pipe. Mais heureusement, une découverte majeure viendra sauver son industrie : la bruyère (evica arborea). Pour sa fabrication, on utilisera sa souche : le broussin. Il s’agît d’un bois dur et dense extrêmement résistant à la chaleur qui conserve ainsi le goût du tabac, il pousse à l’état sauvage sur le littoral méditerranéen. Cette découverte va élever par la suite, Saint Claude en capitale mondiale de la pipe.
Anabelle Hulaut détective, collectionneuse de pipes
L’ombre d’une pipe de Mr Hulot à Melle Hulaut
Plutôt réservé à la caste masculine comme elle aime le rappeler l’artiste Anabelle Hulaut s’est un jour emparée d’une pipe fabriquée à Saint Claude, pas celle de Monsieur Hulot pendant ses vacances à Saint Marc dans le film de Jacques Tati, mais peut être son ombre (bleu nuit), plus fine, plus féminine.
En 2000, elle constate que la statue à l’effigie de Monsieur Hulot située à Saint Marc sur mer a sa pipe qui a disparue. Cette disparition déclenche pour elle l’envie d’être en situation de détective, avec son lot d’imageries et de caricatures[5] . Dans les archives de la ville, elle découvre que la pipe de la statue de Jacques Tati a été volée à différentes époques, comme partie en fumée !
Non ! L’enquête minutieuse révèle un portrait robot indiquant que le voleur a entre autre un caddie à provisions rouge écossais. Cette fiction inventée par l’artiste fait croiser le commissaire Maigret et Sherlock Holmes, remettant à Monsieur Hulot, une nuit la pipe retrouvée. Dans certains faits, on relate que Melle Hulaut travaillait comme détective indépendante parallèlement à l’inspecteur Maigret. Elle serait donc à la fois la voleuse de pipe et à la recherche de la pipe disparue. L’artiste réalise ainsi un glissement continuel entre la réalité et la fiction, des dérapages successifs de notre langage, de nos objets.
La collection de pipes
Cette collection s’est enclenchée de façon hasardeuse avec une certaine admiration pour l’objet, à la fois concave et convexe, et bien sur les fumeurs de pipes qui dégagent souvent une esthétique particulière.
Cette collection n’a aucune fonction sauf pour le regardeur. Elle est constituée d’une part ; d’œuvres qu’elle a réalisées dont certaines sont aussi le commencement de sa posture en tant que détective[6]; d’oeuvres empruntées à des artistes et d’autre part, pour l’essentiel, des objets qui ne sont que la représentation de l’objet pipe, décoratives où la forme est juste suggérée, limite kitsch servant par exemple de cendriers, de vide poches …
L’idée de collection n’intéresse pas l’artiste en tant que tel, mais ce qui l’intéresse c’est plutôt, la capacité qu’a la collection de pipes à déclencher et provoquer des processus d’échanges et de collaboration.
La Salle des pipes
Pour son exposition ; Villa Dourven à la Galerie du Dourven à Trédrez–Locquémeau en Bretagne, elle transforme et réaménage la galerie en lieu d’habitation, une villa au statut incertain. Au centre, elle agence une pièce ayant cinq portes ouvrant sur les autres pièces de l’exposition. Un sol à damier noir et blanc, un mur peint bleu gris ciel et deux vitrines une haute et une basse où elle présente par intermittence sa collection.
(Extraits):
“La trahison d’une pipe”, 2007, photographie couleur ; Peinture de Jonathan Monk : “But I’am a pipe “, acrylique sur toile, offert par l’artiste à David Michael Clarke ; Pipe savoyarde (petit modèle – 12 clous) ; Pipe creuse en céramique (noir/bleu/marron), offerte par Bertrand Godot ,2008 ; Pipe en écume de mer avec étui, trouvée à Istanbul, avril 2003 ; Pipe noir/bleu de Melle Hulaut. Achat à Nantes en 2001 ; Pipe en céramique version cendrier (marron et embout beige) ; Petite pipe décor St Claude ; Pipes en bois non finies de Saint Claude, prêt Amélie et Joël Hubaut. ; Pipe avec étui Pierre Balmain, trouvée sur un vide grenier en Mayenne en 2008 ; Pipe en pâte à modeler phosphorescente. (empreinte en 2001 de la pipe de la statue de M Hulot à St Marc sur Mer ; Pipe de Capitaine, offerte par Laurent Tixador ; Grande pipe creuse en céramique marron /orange avec découpe dans l’embout ; Pipe cendrier en céramique (marron foncé et coulure verte et marron clair)…
Livres à lire :
La pipe de Maigret – Georges Simenon.
Ceci est bien une pipe – San Antonio
Ceci n’est pas une pipe - Michel Foucault
Casse pipe à la Nation – Léo Malet
La fille du Capitaine Pipe – Simone Saint Clair & Juliette Lerima Flandre
Ces dames au casse pipe – André Burnat
Sites à visiter :
anabellehulaut.net
fumeursdepipe.net/personnalités17.htm (voir l’image de George Simenon qui offre une pipe à Michel Simon).
pipesetbouffardes.com
adhocpipe.com
jpsidolle.free.fr/Familiari%20361.htm (Projet Mémoires d’éléphants de Jean-Paul Sidolle avec la vidéo La tailleuse de pipe de Christelle Familiari. Collection Frac des Pays de la Loire).
Musée à voir :
Musée de la pipe à Saint Claude, ville dans le Jura où trône dans le centre la plus grosse pipe du monde en bois.
Bertrand Godot, décembre 2008
[1]je situe le mot dans sa sonorité entre fumiste, burlesque et romanesque.
[2]L’origine de l’expression peut provenir des guerres napoléoniennes : sur les champs de batailles, les chirurgiens n'ayant pas d'anesthésiant pour opérer, plaçaient une pipe en terre cuite entre les dents du patient pour qu'il la morde au lieu de crier. Le soldat qui succombait au cours de l'opération laissait tomber sa pipe par terre où elle se cassait.
[3]Einstein disait « avant de répondre à une question, il faudrait toujours allumer sa pipe ». Cette citation suggère un temps de pause et d’attente, une réflexion sur le temps comme une image possible du fumeur de pipe.
[4]Magritte et le mystère du réel (« ce que l’on voit sur un objet, c’est un autre objet caché) : à partir de 1926 il entame une réflexion sur les rapports entre mot et représentation, La pipe, la représentation de la pipe, le mot pipe, le modèle … Cf. les œuvres :
« La trahison des images » (ceci n’est pas une pipe), 1928,29
« Les deux mystères », 1966
« Le stropiat » 1947
[5]Dans un premier temps, elle active « l’image du détective dans sa façon la plus caricaturale, comme une silhouette sortie d’un roman policier - (croisement absurde entre Sherlock Holmes et Agatha Christie ). »
[6]Vidéos : “La pipe (jour) “ et “La pipe (nuit) “, 2001 et “Mallettes de pipes”, 2003, pipes en résine phosphorescente (réalisées avec Laurent Tixador).