[version française]

Anabelle Hulaut

Anne Cartel

Correspondance paru dans le Paris Granville :
Rubrique : Point de vue

Lost in Translation
Correspondance.
Granville Gallery - 6-28 juin 2009


Lost in translation.

Titre évocateur dans l'esprit du cinéphile. Traduction, interprétation, transmission, quiproquo ! Moteur du processus Hulaut, le déplacement, l'écart, pénètrent tant les mots, les sens que les situations que l'artiste produit lors d'expositions. Il paraissait dès lors inévitable au Paris-Granville d'y participer en prenant le pretexte d'un voyage "réel" Caen-paris-Philadelphie-New York-Philadelphie-Paris-Caen.
Ce fut l'histoire d'un entretien qui prit donc comme point de départ l'aéroport de Roissy Charles-De-Gaulle. Tentative vaine car au delà de ce déplacement physique, le Paris-Granville était monté à bord d'une navette périlleuse, la pensée en mouvement d'un artiste. L'entretien relate une histoire d'expositions en gestation, où les idées se chevauchent, se superposent, l'une entrainant l'autre. Anabelle Hulaut se déplace mentalement comme un joueur d'échec, toujours anticiper, visualiser le coup avenir tout en demeurant dans l'inconnu du coup adversaire, le hasard.

La conception de l'exposition à la Granville Gallery naît lors d'un voyage à Hong Kong, suit à la trace le personnage Hulaut avec son motif du damier noir et blanc de Cholet à la Galerie du Dourven ; interfère avec le projet en cours Rideaux sur Loire, prend des allures gustatives avec le prototype d'un jeu d'échecs en chocolat, fruit de sa résidence à Saint Gilles Croix de Vie.

Brouillage dans l'entretien avec le Paris-Granville, circulation alternée, retard, incompréhension. Histoires de damier franc ou troublant, d'une salle d'attente, transit via Honk Kong, arrivée par Granville Road à la Granville Gallery. Jeux de mots, de sens, d'échelle. Granville Road en cantonais, "Big city" ou "grande ville route", l'infiniment grand investit l'infiniment petit de la Galerie. Cette dernière devient le lieu intermédiaire à tout déplacement, celui de l'attente, debout devant le quai ou bien assis sur un banc, contemplation ? Autant de points de vue et de seuils ouverts sur l'imaginaire dans la vacuité de l'espace-temps de l'exposition.


nn Crtl, juin 2009
pour le Paris-Granville



Anne CARTEL -nncrtl@gmail.com- 7 mai 2009 11:39
À: Anabelle Hulaut -mellehulaut@gmail.com-

je fais vite, je suis sur une borne en langue espagnole: l aeroport est effectivement un lieu etrange ou l identite se perd.

concernant ton intervention a granville, je me demandais a qui cette fois ci nous avions a faire : un nouveau personnage en transit, en gestation, en mutation linguistique. As tu pense un jour a mute dans une autre nationalite.
j embarque de suite pour philadelphia.

clavier anglais je n y arrive pas. tanpis pour la ponctuation..
anne



Anabelle Hulaut -mellehulaut@gmail.com- 8 mai 2009 12:07
À: Anne CARTEL -nncrtl@gmail.com-

La situation aujourd'hui - dans l'attente dun trajet Chateau-Gontier-Granville, incessament sous peu.
La vue est brouillée. D'ailleurs en parallèle je prépare un damier franc avec embrases et un damier troublant pour le projet Rideaux d'Art à Candes St Martin avec Jacques Halbert - une autre vue à plat des radeaux sur Loire ...

Il y a un flottement, un égarement, probablement un personnage - en attente en transit en salle d'attente. Pour l'instant il n'y a rien pour s'asseoir.
En tout cas, dans l'espace il y a quelque chose en préparation, un trajet dont on ne sait pas encore si il se fera en avion, par bateau, à pied, en voiture et d'ailleurs peu importe.
Il manque quelque chose, c'est angoissant, stressant, car il y a forcément quelque chose qu'on oublie.
Il n'y a pas de mise en scène. C'est une situation - tout est là et en même temps on n'y voit rien.

Fritures sur la ligne Paris-Granvile-Chateau-Gontier via Philadelphia (où là bas tout près du champ en vue éclaircit)
Bon baisers on the road.
Je ne sais pas si je t'ai parlé de mon jeu d'échecs sur lequel je suis en train de travailler, qui a démarré après Aire d'aproche en circulation à Saint Gilles Croix de Vie, après ma rencontre avec un chocolatier - le jeu sera donc en chocolat, des lettres-pièces , des consonnances à croquer ...
j'espère pouvoir montrer un petit prototype... maybe....


Anabelle Hulaut -mellehulaut@gmail.com- 15 mai 2009 13:39
À: Anne CARTEL -nncrtl@gmail.com-

Je suis on the road. Par moment il ya beaucoup de brouillard, et j'ai vraiment l'impression que je n'avance pas, ou alors en biais, je suis comme poussée de biais, sans doute le vent est fort à l'est.
C'est marrant, il m' a semblé que j'étais comme en train de préparer des bagages. La destination m'est inconnue - je sais que l'attente se fera, nécessaire. J'ai rencontré la nécessité de réaliser une petite maquette de Granville Gallery, les éléments sont éparpillés, et l'espace necessaire au rassemblement.

Depuis quelques semaines, trotte la chaise, l'assise, comme nécessaire à l'attente - salle d'attente, des chaises le long des murs, quelles chaises ? Revient comme par dédoublement, le va-et-vient - une position in situ - entre les choses

Le banc s'impose - un banc d'école, un banc public, un banc de musée, un banc de jardin ...
Comme un banc double qui permet le va-et-vient - le va-et-vient de la langue (cf translation - du mot Granville ....).
Le banc n'est pas une oeuvre c'est comme un point de vue possible à l'oeuvre(s)

Parfois la vue s'éclaircit, sans doute je porterai encore des lunettes...
Voici quelques notes en vrac ....

je t'embrasse
A+
Anabelle
for Granville road




Anne CARTEL -nncrtl@gmail.com- 22 mai 2009 18:16
À: Anabelle Hulaut -mellehulaut@gmail.com-

Retour de Philadelphie.Etre touriste est néanmoins "déterritorialisant" pour soi-même. On se retrouve autour d'individus sans cesse en action, dans leur condition sociale, alors que le touriste se pose pratiquement en enquêteur. Je pensais à tes différents personnages en sillonnant les rues de New York. Quel était donc le mobile de cette ville, le mobile de mon exploration si ce n'est l'exploration elle-même. Comme dans un rond point, je tournais en rond afin qu'aucun point de vue ne m'échappe! 
Je pensais aussi aux lieux de transit durant ce travel : aéroport, avion, gare, arrêt de bus. Caen-Paris-Philadelphie-New York-Philadelphie-Paris-Caen. Que d'attente, que de temps dans des no man's land où l'identité se perd, le temps s'alourdit, les langues se croisent, les incompréhensions naissent, l'effort du rien parfois. N'importe quelle situation devenant la métaphore d'une salle d'attente.
Je pense aussi à Muntadas qui recrééa en 2005 à la biennale de Venise une salle d'attente, une série de téléphone aux langues multiples, l'attente dans les files d'accès aux expositions ou à cette manifestation internationale. Il s'agissait d'un vaste espace avec de la place pour circuler, à l'instar des aéroports, où la promiscuité ne gêne pas les individus dans de tel lieu, difficile de se frôler, de se toucher, comme une mesure de protection pensée dans la scénographie du mobilier de ces lieux de transit!
La Granville-Gallery en cela est un défi pour un lieu de transit ou d'attente. Les visiteurs peuvent se gêner, se parler... oh horreur!!

Le jeu d'échec fait partie aussi de ce temps d'attente entre deux inconnus où chacun teste l'attente de l'autre.Est-ce cette attente que tu veux perturber avec ton damier troublant ? Le damier franc te paraît-il plus "honnête" du fait de son nom ? En fait je te pose ces questions pour faire diversions sur mon ignorance : qu'entends tu par damier troublant et damier franc, hormis les jeux de mots ?

à très vite
anne 
pour le paris-granville
depuis caen


Anabelle Hulaut -mellehulaut@gmail.com- 26 mai 2009 15:34
À: Anne CARTEL -nncrtl@gmail.com-

en direction de ParisGranville
via Caen
de Chateau-Gontier
où la gare est bien ouverte mais il n'y a toujours pas de train....

Concernant cette idée de damier troublant et de damier franc, j'ai employé ces deux termes précisément pour ce qu'ils cachent. Il y a quelque chose dans l'idée de transparence et d'opacité - d'ouverture et de fermeture - ce n'est pas vraiment la question d'honnetêté qui est principale c'est plutôt l'idée de quelque chose de frontal qui pourrait (pas forcément s'opposer) dialoguer avec le flou. Bien evidemment ce n'est pas si simple, ni noir ni blanc, mais plutôt ce va-et-vient noir, blanc, noir, blanc, noir... d'ailleurs je pense que le damier est de moins en moins noir et blanc... comment le regardeur passe voyeur...

Il y a encore une fois cette idée ambigüe qu'on peut retrouver dans l'Autoportrait à plat comme tu l'as effectivement souligné - les lunettes soulignent l'ambiguité.

Quand j'ai évoqué ces idées de damier francs et troublant - il s'agissait en fait d'un parallèle avec un autre projet sur lequel je travaille. J'ai été invité à participer à une manifestation Rideaux sur Loire organisé par Cindy Daguenet à Montsoreau et Candes Saint Martin (pays de Jacques Halbert - je pense à l'echo direct avec la manifestation que Jacques avait organisé en 1980 Radeaux sur Loire) et qui démarare le 11 juillet.
Lorsqu'on m'a proposé de choisir une fenêtre d'après photo, on m' a spécifié : "il s'agit de la fenêtre qui est en hauteur, c'est un bureau de travail. On ne peut pas utiliser la fenêtre du bas car c'est la chambre de la maman de Madame Bougras. Elle ne quitte pas sa chambre car elle est très âgée et fragile. Il faut une oeuvre réalisée sur un voilage".
J'ai donc proposé d'intervenir sur ces 2 fenêtres, avec un damier franc et embrases pour celle du haut et un damier troublant pour celle du bas qui sera à peine visible de l'extérieur - juste une nuance de blanc, +/- transparent /opaque. C'est cette visibilité qui m' a intéressée, tenter de la perturber, de la renverser - Donc, vue de l'intérieur, le damier est réalisé avec des parties loupes - quand on s'approche elles grossisent et quand on s'éloigent, on voit à l'envers. C'est en quelque sorte le damier du haut qui donnera un indice sur le bas - de haut en bas.
Il y a quelque chose cependant en parallèle avec Lost in Translation pour Granville Gallery. Il y a cette idée de voir sans être vu. L'histoire de Mme Bougras apportait une autre dimension, celle de l'attente - un zoom sur l'attente.

Je n'ai pas encore défini l'histoire de la fenêtre, vitrine de la Granville Gallery. Il s 'agirait plutôt que la vitrine devienne fenêtre.

Je suis loin de l'espace de Muntadas même si son grand projet On translation m'intéresse, où il intérroge la notion de traduction, d'interprétation et donc de représentation. Effectivement nous sommes à l'opposé dans un micro espace, où la promiscuité est plus que probable - l'espace se resserre, plus proche et plus lointain à la fois.

Je suis très contente, je viens de découvrir le projet Le grand soir de Claude Lévêque pour la biennale qui ouvre dans moins de 10 jours. Claude Lévêque cite dans Art Press: "Jean Paul Sartre a écrit que le Grand Soir était le dernier grand "mythe poétique" révolutionnaire en France. C'est vraiment ce que j'ai eu envie de faire, ça ne pourrait pas être mieux, c'est exactement ça. Le Grand soir, c'est français. Intraduisible dans les autres langues. Un idéal inacessible, une utopie perdue..."

Sur ce, je retourne au travail, qui avance à petits pas ....je t'embrasse