Anabelle Hulaut
Frédéric Emprou
Parution : 02 Magazine (N°22 - 3ème trimestre 2002)
Playtime
Film de l'histoire et histoire du film, Anabelle Hulaut se situe délibérément à la croisée des fictions et de la vie, sur cette frontière où s'activent les rencontres et les devenirs. Continuum de son projet de film Les vacances de Mlle Hulaut, le samedi 15 juin, se tournait, avec l'aide de la ville de St Nazaire, du Frac pays de la Loire et de Mire, sur la plage emblématique de St Marc sur mer, face au fameux Hôtel de la plage, une nouvelle séquence, le Mariage de lettres.
Si les hoquets avaient des commencements, les fantômes ne resteraient que des fables et leur présence ne se sentirait pas aussi physique. La schizophrénie est nécessairement événementielle et les échos de paroles que l'on croit reconnaître providentielles. Prêts de mots, prêts de voix, l'étrangeté cocasse était prégnante au moment solennel. Norbert Duffort, témoin officiel parlant avec un accent écossais par le truchement de David Clark, après un maître de cérémonie décalé, involontairement doublé par une post synchro.
L'adresse et la maladresse font partie des techniques tatiesques qu'Anabelle Hulaut emploie, les appréhender fait partie du jeu. L'artiste aime à citer la métaphore du fil à plomb, stratégie de l'imprévu et du contrepoint comme une focale de l'objectif. Le protocole suivi à la lettre, se défausse et bute avec le rire, fou.
Ce Mariage de lettres se solde de la perte de l'astérisque et du b, initié grâce aux différents contrats réactivés de Prête-moi ton L et prends mon B, multiples instants de rencontres avec ceux qui sont devenus les témoins de ces noces curieuses. Les échanges de lettres comme des correspondances agissantes pendant un temps dans chacune de ces vies, les galets que l'on lance et qui font ricochets sur l'eau.
Cependant, évidemment un peu spécial, " l ", est célibataire, vacillant, en suspend pour déjà de nouvelles aventures, de prochaines vacances et disponibilités opératoires inattendues. Fiancée du hasard, vagabonde amicale et humoreuse, Mlle Hulaut n'a pas fini de s'en mêler et de se démêler des fils sémantiques, des dérives d'histoires qui se recoupent créant alors un espace inédit, lieu de prolongements et d'acrobaties inimaginables. "Ni réellement un mariage avec personne, ni un mariage avec tout le monde", le Mariage de lettres se veut pour elle, "plus proche d' un manifeste poétique qui associe en même temps qu'il dissocie 'l'idée que l'art est ce qui rend la vie plus intéressante que l'art'".
Avec l'irrévérence d'une nouvelle jeune fille qu'elle est ainsi devenue, par ce contrat matrimonial fantasque , Mlle Hulaut se trouve très sûrement embarquée ailleurs en vue de nouvelles enquêtes. On prend souvent des personnages, des citations ou des masques, sortes de prétextes permettant l'aisance des man&oelig.uvres ou des farces. S'effacer pour mieux réapparaître, telle la figure du détective, à la célérité visuelle et mentale. Fille par procuration du cinéaste, l'artiste se joue des filiations et des statues tutélaires qui scrutent l'horizon. Il y a quelques années, elle avait constitué Le club des chiarts, qui avait pour propos de réunir des enfants d'artistes. De la place à la plage, la patronymie, comme la syntaxe se doit d'être bousculé gaiement, dans un plaisir effronté et frondeur. Un portrait d'une famille qui s'est constituée dans les aléas, les échanges et les circonstances a été photographié, comme il est de coutume dans ces occasions, par Dettie Flynn. Drôlement.
De ces décalages furtifs ou sonores, Anabelle Hulaut illustre à ses manières de clin d'&oelig.il, la phrase du baron de Lignes, "mes écarts ou ma tête en liberté". Quand elle commence les Actions Sport Surface, déplacement du référent Sport Surface à celui des performances sportives d'un célèbre autre homonyme au prénom de Nicolas, l'intrigue tourne autours de l'épuisement, de l'effort sur place. Au cours d'une de ces actions, dans la seule vidéo, on peut voir l'artiste s'échinait à courir sur un escalator, donc immobile in mobile et réciproquement. Entres autres performances, toujours proches d'une notion d'endurance, de rythme et de temps, celle-ci s'est aussi amusée à des tours inlassables et répétitifs, de circuit mécanique le long d'un centre d'art. La dernière action, matérialisée par une photographie, exposée l'année dernière au centre de la Grillonnais à Basse Goulaine, voit Anabelle Hulaut dans une piscine au prise avec un instrument de musculation, arrêt sur image devenant l'instantané final du projet.
Depuis, par l'entremise du " p " parti en vadrouille, le temps s'est dilaté, à la façon d'un travelling. Après la partie de tennis tournée à Rennes, avec le soutien de 40 m3, invitant le public à l'échange de balles sous la houlette de Jean-Philippe Lemée, les prochaines scènes, d'apparence prometteuses et réjouissantes, se passeront cet été et à la rentrée lors d'un concours de pêche à Fontenay-Le Comte et d'une pêche aux moules à Coutainville. Suite des étapes de la promenade facétieuse de Mlle Hulaut, ballade pour un caddy désinvolte. Tout se tient dans la manière de fumer la pipe : phosphorescente.
Dans un paysage de stardust memories, la robe dessinée par Pauline Pô, rouge écarlate d'une timidité audacieuse, se mouvait ce jour-là, possible filet à attraper des papillons, autant d'outils dans la tête. Véritable pièce montée, filmée notamment par Docteur Courbe et Marco Tsypkine, l'ultime cerise était le gâteau aux allures de fresque, préparé par Abrahm Poincheval et Clémentine Henriot. Onze heures en été. La mer, les étoles et le vent. De cette narration qui continue de s'écrire, j'aurai aimé être la caméra.
Frédéric Emprou, 2002