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Anabelle Hulaut

Pauline Lecointe

Fragil Magazine - Publié le 2 aout 2008 - www.fragil.org


Villa cherche occupant

Les vacances de Melle Hulaut

"Le détective, le voleur, l’artiste et le modèle", Melle Annabelle Hulaut est un peu tout cela à la fois. Elle a troqué le "b" de son nom pour un "l", histoire de se construire un personnage et de se rapprocher de celui qu’elle admire entre tous, le M. Hulot de Jacques Tati.

Comme son héros, elle a choisi d’aller passer ses vacances sur la côte bretonne.
Mais au lieu d’opter pour l’hôtel de la plage et sa galerie de vacanciers plus vrais que nature, elle a choisi de se glisser, un peu comme une voleuse, ou plutôt comme une magicienne, dans la villa du Dourven de Tredrez-Locquemeau, afin d’y transformer l’espace à son image et d’attirer les vacanciers à elle. Les pièces revêtent le motif de sa veste à carreaux favorite, à damiers noirs et blancs. Le ton est donné : il s’agit pour le visiteur d’entrer dans le jeu de l’artiste qui s’est amusée à inventer le lieu de vacances idéal de son personnage, jeune femme loufoque, dans laquelle on retrouve du M. Hulot évidemment, mais aussi du Hercule Poirot et du Sherlock Holmes.
Elle adopte la célèbre coiffe du héros de Tati et collectionne les pipes, vraies et fausses. On trouve même dans une vitrine deux petites barrettes "pipéiforme", emblème de cette drôle de Melle. Melle Hulaut joue sur l’illusion : pipes et "images de pipes", projection de film – Les Vacances de Melle Hulaut –, photographies... De temps à autre, on entend un fracas épouvantable venant d’une autre pièce : Melle Hulaut serait-elle aussi maladroite que M. Hulot ? Toujours est-il qu’elle réalise dans cet espace le rêve du grand M. à la silhouette dégingandée et inoubliable.

La villa aux milles visages

La villa du Dourven devient la villa de tous les visiteurs, un espace à modeler et à inventer. "Vous êtes chez vous" vous dit-on à l’entrée. On a le droit d’ouvrir les placards et les tiroirs dans la chambre de la demoiselle, qui tient à la fois de l’atelier d’une artiste et de la loge d’une comédienne. Les masques et les chapeaux posés sur la coiffeuse ne demandent qu’à être essayés. Sur la table de chevet un post-it aux accents de billet doux : "Merci, Annabelle, pour cette nuit d’amour". Il faut savoir que de temps à autre Melle Annabelle Hulaut occupe réellement la maison, pendant que les visiteurs défilent. En ce moment, elle est en Australie, mais n’oublie pas de nous envoyer quelques cartes postales.

La cuisine, avec baie vitrée donnant sur la mer turquoise, n’est pas sans rappeler la cuisine ultra-moderne et ultra-blanche de Mme Arpel, dans Mon oncle de Jacques Tati. A la différence qu’ici il est possible, et même conseillé, de toucher, de regarder. Tout est disposé pour que le visiteur puisse se faire un thé ou un café, en échangeant quelques mots avec les autres visiteurs et en profitant de la vue. Il y a de cela des années, un particulier avait projeté d’acheter la villa et la vue. Mais devant l’indignation des habitants de la région et des visiteurs de la belle saison, il a bien vite renoncé, et la villa du Dourven est finalement devenue un musée.

Une histoire à inventer

Passons maintenant au petit salon/bibliothèque attenant à la cuisine et où la baie vitrée continue. Installé dans un fauteuil en cuir des plus profonds, vous sirotez votre thé et feuilletez un livre choisi dans la petite bibliothèque qui regroupe ouvrages sur Jacques Tati et romans policiers. Vous prenez par exemple Les Vacances d’Hercule Poirot. En vacances dans un hôtel au bord de la mer, confortablement installé dans un transat, Hercule Poirot a bien l’intention de se délasser. Vous imaginez Melle Hulaut assise dans le fauteuil auprès de vous, sorte de détective toujours à la recherche du détail qui saura modifier un espace, lui donner vie. Comme Hercule Poirot, elle a le pouvoir de rassembler des personnes bien différentes dans une "maison biscornue", non pas autour d’un crime mais d’un sens à élucider, d’une histoire à inventer.

Soudain, un cri. On vous appelle, on vous cherche dans la maison, on vous croyait perdu, enlevé peut-être. A force de "faire comme chez vous", vous avez oublié le temps. Vous quittez la villa non sans avoir laissé dans la cuisine un petit mot sur un des post-it mis à la disposition des visiteurs : "Merci, Annabelle, pour cette belle vue", en dessous, vous dessinez deux yeux à travers un masque qui rappelle autant celui de la collection policière que celui que vous avez essayé dans la chambre d’Annabelle. Mais en sortant vous avez le sentiment de ne pas avoir totalement résolu l’énigme, de ne pas avoir tout vu. Il faudra revenir sur les lieux du crime, ou plutôt du jeu.



Pauline Lecointe, aôut 2008