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Anabelle Hulaut

Frédéric Emprou

Texte pour le catalogue " A l'escapade, des ravines à la loupe - éditée par le L.A.C de la Réunion - 2009


Une loupe peut en cacher une autre


« Ce qui me plaît, c’est qu’on ne sache pas. Ca reste ouvert. Mon jeu est caché. »1

Selon la définition, la loupe est un instrument d’optique subjectif constitué d’une lentille convexe permettant d’obtenir une image agrandie. Effets de diffractions et de renversements de focale, cet appareil convient drôlement pour mimer et incarner les déclinaisons imprévues, les changements de point de vue développés par les oeuvres d’Anabelle Hulaut. Lieu des précipités fantasques, le travail plastique de l’artiste s’envisage à la manière d’une pratique ouverte dans laquelle les narrations se répercutent et s’auto génèrent en fonction des contextes de monstration. Multipliant les médiums et les accroches de fictions, ce réseau hybride et poétique n’a de cesse de se déployer sous le mode du furtif et du motif diffus.
Variations décalées et amplifications intempestives, les méta-récits qu’Anabelle Hulaut aime à orchestrer, constituent autant de prétextes à des glissements tous azimuts, d’ordre sémantiques et allusifs, par le biais d’images, d’analogies et d’objets inattendus.
Bricolage polysémique généralisé, les pièces de l’artiste participent ainsi d’une logique de l’assemblage et de la mise en abyme qui cultive à loisir le clin d’œil, le jeu de mot et l’humour. Accessoire emblématique, si la loupe apparaît désormais comme une figure récurrente de ce corpus, c’est par le biais d’une activité de prélèvement d’éléments glanés du réel, qu’Anabelle Hulaut alimente ce jeu de piste inédit.
Questionnant les procédés d’appréhension d’un territoire, ses artefacts ont à voir avec l’investigation suggérée, l’enquête qui s’opère telle une pérégrination mentale et physique. Perspectives paysagères, séquences d’interviews, sculptures composites et improbables, les productions de l’artiste évoquent dès lors l’inventaire énigmatique et la collection loufoque d’instantanés. On pensera notamment à la série photographique des Tas ainsi qu’à l’ensemble des vidéos Les Affaires, captations d’histoires ou de situations, entamé consécutivement lors des séjours à la Villa Arson et au Domaine du Dourven.
Dévoilement d’un espace à la fois discursif et récursif, l’entreprise que mène Anabelle Hulaut tient de la cartographie et de l’écriture en mouvement. Ce n’est sans doute pas un hasard si une de ses dernières expositions s’intitulait Lost in translation. Entre perte de repère et d’identité, l’artiste affectionne les intermezzos, quand l’interprétation et la traduction restent dans un suspens possible.
Distillant les prismes, l’exposition A l’escapade, des ravines à la loupe se présente à la façon d’une carte postale dont la trame semble s’impressionner de la topographie de l’île de la Réunion. Derrière le caractère interlope de l’intitulé, la proposition hésite entre le journal de bord, le cabinet de lecture et l’esquisse d’un regard en ballade.
La résidence au L.A.C devient pour Anabelle Hulaut la toile de fond aux dérives génériques du détective loupeur. Attribut allégorique, le terme loupeur désigne à la fois le nœud et l’excroissance, l’échec et le raté, mais aussi le flâneur.
Comme l’on se fondrait dans un décor, Les Affaires adoptent le diapason créole, se mutent en Les Z’afair et constituent autant de notes animées relatant des moments et des occurrences particulières, les indices circonstanciés à un environnement donné.
La réactivation de la série des Tas met en exergue le moment entre deux, l’aspect minéral, le rapport à l’idée de matière première. A travers ces clichés, par effets miroir avec la lave volcanique, le géologique se mêle au paysage alentours.
Objet gigogne en bambou, la canne loupe qui a pour fonction d’arpenter la cime des arbres, oscille entre l’art brut et le registre du facteur cheval, et s’inspire de la canne télescopique que l’on utilise pour cueillir les avocats.
La linogravure donne lieu à une herméneutique savoureuse et exotique. Le paillasson encreur renvoie en effet le tampon à la marque d’empreinte. En malgache, le mot tampon signifie ce que l’on voit de loin ; l’image tampon peut aussi illustrer ce qui se renverse, la camera obscura, le fameux négatif de l’image.
L’exposition d’Anabelle Hulaut fait écho à cette autre phrase de l’écrivain Jean-Philippe Toussaint : « ce réseau d’influences multiples, de sources autobiographiques variées, qui se mêlent, se superposent, se tressent et s’agglomèrent jusqu’à ce qu’on ne puisse plus distinguer le vrai du faux, le fictionnel de l’autobiographique, se nourrit autant de rêve que de mémoire, de désir que de réalité. »2


A l’escapade, des ravines à la loupe s’apparente à l’échappée fantaisiste et absurde, la conjecture flottante et équivoque. Une hypothèse facétieuse qui tient de la vue de l’esprit.

1 Comment j’ai construis certains de mes hôtels, Jean-Philippe Toussaint, revue Constructif, n°15 octobre 2006.
2 ibid.


Frédéric Emprou, 2007