Anabelle Hulaut
Claire Viallat-Patonnier
Texte paru sur Courte-Line en 2017.
Anabelle Hulaut - Cherchez l’indice !
Mon premier est un mammifère quadrupède ongulé de la famille des équidés, pas le plus noble
hélas !
Mon second est une interjection exprimant avec vivacité surprise ou sentiment.
Mon troisième est un adjectif caractérisant la beauté chez une jeune femme.
Mon quatrième est l’exclamation qui permet de faire avancer mon premier.
Mon cinquième est un des quatre éléments, celui dans lequel cette charade noie le poisson pour
dissimuler le nom de l’artiste en question.
Cherchez l’indice !
L’indice renvoie à beaucoup plus qu’il n’est et parfois même à des choses auxquelles il est étranger. Le travail d’un artiste, ouvert, résiste à toute tentative de le circonscrire. Donc assurer quelques prises comme autant d’indices pour aborder l’œuvre dans l’espoir qu’elles en épousent au mieux les reliefs et le modelé.
La pipe fait-elle le détective au même titre que la collection le collectionneur ?
Si elle est accessoire pour le limier – dont elle caractérise la panoplie – elle se révèle pour l’artiste, signe, qu’elle soit ou ne soit pas une pipe d’ailleurs.
L’enquête relève d’une mise en ordre logique des faits dans une relation de cause à effet. Elle présuppose leur connaissance et la perspicacité rationnelle de celui qui les articule pour en retrouver l’organisation première, les motivations sous-jacentes et les intentions inavouées. Par l’art, l’artiste mêle au réel sa propre perception du monde qu’il rend ainsi réelle. Il perturbe donc le cours des choses et réduit la distance qui sépare la fiction de la réalité.
Mademoiselle Hulaut échange les lettres, brouille les pistes, raconte des histoires. Elle est tout à la fois, artiste, écrivain, poète, cinéaste, performeuse. Elle joue avec les mots, transforme les noms, détourne, associe, saute du coq à l’âne, s’amuse d’anagrammes, nous oublie en chemin, mais laisse derrière elle des repères. Ceux d’un jeu de piste qui, d’un signe à l’autre, permet de suivre les contours d’un territoire à la géographie et au vocabulaire précis.
Conan Doyle et Jacques Tati en sont deux sémaphores. Figures paternelles d’une filiation choisie.
D’un côté la déduction, l’esprit rationnel et analytique et de l’autre l’étourderie, l’inattention, l’inadaptation d’un homme au monde dans lequel il vit. Deux extrêmes. L’un trouve et l’autre perd. Le premier remet le monde en ordre après un dérèglement, l’autre, par son inattention, désorganise le monde et en révèle l’absurdité sous-jacente. Il y a du Plume(1) chez Monsieur Hulot, Candide moderne, serviable mais distrait, entouré d’un monde hostile dans lequel il vit comme en apesanteur et du Teste(2), observateur scrupuleux des choses, chez Sherlock Holmes.
Peut-on imaginer un artiste enquêteur ou un enquêteur artiste ?
Baigneurs, on tourne !
Devant l’objectif de la caméra, bien à l’abri de la démesure des rendez-vous internationaux de l’art contemporain qui agitent la planète ce printemps/été 2017, Aix les bains est la toile de fond du film à venir d’Anabelle Hulaut. Trois séquences rythment le tournage et jouent avec les époques dont le patrimoine architectural porte encore le souvenir - clin d’œil aux années folles, à la Belle époque, aux curistes en villégiature. Chacune donne une forme particulière ainsi qu’un cadre à la thématique du voir ou être vu.
- « Rendre visible l’eau » aux Thermes
- « Paraître et disparaître » dans le Grand Hôtel de Pellegrini
- « Le regardeur, regardé » au détour des allées du Parc de verdure
Montrer c’est isoler une partie du tout, attirer l’attention d’un côté, pour la détourner de l’autre, distinguer un détail en atténuant ce qui l’entoure, mettre en exergue un élément dans l’ensemble. Mais focaliser le regard sur un point c’est aussi rapprocher le point de vue. Ce qui est montré passe au premier plan. Le reste, au second, devient décor. Or le décor fait aussi l’histoire.
Qu’est-ce que l’artiste montre et du coup qu’est-ce qu’en montrant, elle cache ?
Faut-il regarder l’œil ou ce que l’œil regarde ?
Le personnage de Sam Moore, sorte d’alter ego masculin créé en 2013 et fil conducteur dans le
travail, ressurgit dans le projet aixois. Anagramme d’Ames room(3), il incarne les questions d’optiques et d’illusion mais on peut y voir aussi la contraction de Sam Spade et Roger Moore. Alliage improbable associant la figure blasée du détective américain à celle brillante et gadgétisée de l’espion britannique. Est-il un détective ? Un artiste ? Un collectionneur ? Un écrivain ? Un voyeur ? Celui qui voit mieux que les autres et donc qui donne à voir aux autres ?
« Ce sont les regardeurs qui font les tableaux » dit Duchamp, qui fixe néanmoins par le titre, les conditions de visibilité d’une de ses œuvres de 1920 : «A regarder d’un œil, de près, pendant presqu’une heure ».
L’œil chromatique de Sam Moore cache plus qu’il ne montre. Il devient masque et efface le visage.
Qui est derrière le masque ?
1 Henri Michaud, Un certain Plume (1930), Poésie/Gallimard, 1985.
2 Paul Valéry, La soirée avec Monsieur Teste (1896), Allia 2016
3 Anagramme d’ « Ames room », pièce construite par l’ophtalmologiste américain, Adelbert Ames Jr en 1946, produisant des illusions d’optique
Claire Viallat-Patonnier, Juillet 2017